Parfum d’Argentine: La Viña – Route 68


L’arrivée aux abords du village m’avait déjà fait bonne impression: de la maison de l’autre côté de la route principale jaillissait soudain un « ciclistaaaa!!!! tandis qu’une petite fille traversait en trombe le porche de sa maison, et enjambait tout ce que son jardin comptait d’obstacles abandonnés, rouillés ou poussiéreux  agitant les bras en faisant de grands signes pour être certaine d’être vue. Lui répondre était la moindre des choses, alors moi aussi je décidais d’agiter grands les bras.

Comme de coutume, une pompe a essence plus ou moins en état marche est le premier signe d’activité à l’approche d’une zone urbaine et celle-ci marquait donc l’entrée à La Viña, village de moins de 1000 âmes sur la Route 68 qui va de Cafayate à Salta.

En combinant les renseignements glanés ça et là , on pourra installer la tente dans le « complejo » local, hybride urbain d’une plaine de jeu municipale, piscine abandonnée et terrain de football improvisé.

Vers les 21H00, j’entreprenais de me faire une idée plus précise de ce qu’est la vie de « pueblo » dans cette Argentine que j’aime tant.

Nous sommes le 20 juin,  jour du drapeau national et donc jour férié. Ce n’est pas la première chose qui frappe ce soir dans les rues quasi désertes. Seul le bâtiment de la municipalité aborde les couleurs blanche et bleue ciel sur sa façade, et encore, très discrètement. J’avance entre passé et présent dans ces rues qui seront peut-être un jour asphaltées dont quelques trop peu nombreux lampadaires au tungstène donnent un air presque lugubre. J’ai appris tout au long de mes kilomètres argentins que j’étais parfaitement en sécurité sur ces terres, n’empêche, Alfred Hitchcock y aurait trouvé à tourner quelques plans mémorables sans trop chercher.

On se sent parfois des airs de cow-boys à soulever de la poussière en marchant et si il est impossible d’avancer en silence sur ces rues de pierres et de sable, au moins mes pas sont ils couverts par des airs de musique de toutes parts, groupes folkloriques ou chanteurs à la guitare mélancolique, qui s’élèvent de derrière des façades plus tout à fait étanches ni aux courants d’air, ni aux instants de vie qui s’en échappent. Au fur et à mesure que j’avance dans le soir, ce sont les concerts d’aboiements des chiens errants qui rempliront le silence.

A l’entrée du village, 3 rues plus bas, la pompe à essence s’apprête à passer en mode nuit: cafétéria fermée et service minimum. De toutes façons, il n’y a déjà pas grand monde qui passe sur la route de jour, alors de nuit…

Au hasard de la promenade, je croiserai des adolescents en route vers la place du village, où les bancs publics accueilleront les premiers Amours comme partout dans le monde mais aussi de très jeunes mamans qui hier encore étaient de celles du début de phrase. Aujourd’hui, elles baladent souvent seules la moitié d’un amour déjà loin. Le vie au village possède encore ses images, clichés universels et intemporels d’un réflexe contraceptif encore à l’état d’embryon.

J’aime cette Argentine anachronique où un tracteur garé à même la rue garde un phare ouvert sur la tour ultra moderne de télécommunication,  où une VW à la sono hurlante éclabousse de poussière la Ford Falcon, grand mère qui aura vu le Flower Power des années 70, et où un cheval monté à cru attend devant le  « dispensa » local que son propriétaire ait fini ses courses. Entre passé et présent, vers je ne sais quel avenir.

Plus loin, profitant du halo lumineux d’un ampoule faiblissante, un groupe de gamins et peut-être bien quelques papas jouent au foot,  les murs craquelés d’une maison coloniale qu’on devinait superbe au temps de sa grandeur servent aujourd’hui de douzième homme pour cette partie improvisée du sport national. Partout au fil de mon voyage, j’aurai aperçu 2 poteaux de bois espacés de quelques 7 mètres, et recréé mentalement le terrain de jeu imaginaire qui les accompagne. De la Cordillère des Andes à l’Océan Atlantique Sud, les mêmes lignes blanches se devinent dans la poussière bien plus que dans le gazon frais tondu. Le foot est bel et bien dans son royaume ici et si parfois le pays manque d’unité devant son drapeau ou derrière sa présidente, jamais il ne manquera de se faire entendre lorsque joue la Boca ou l’équipe nationale. Question de priorités, d’honneur et d’instinct.

En remontant vers mon adresse éphémère, je passerai devant l’église. Ici aussi, l’Argentine n’aura que peu changé depuis l’invasion espagnole: un Argentin qui passe devant un image sacrée est un Argentin qui se signe. Image forte, qui se répète de la Capitale Buenos Aires aux paisibles villages de la région de Salta.

Il est 22H30 et le froid devient mordant. Après tout, nous sommes à 1500mètres d’altitude, entouré de part et d’autre par des sommets dont certains sont couverts de neiges éternelles.

Lorsque je rentre dans ma tente pour écrire cet article, la Croix du Sud nettement visible dans ce ciel rempli d’étoiles m’indique que je recevrai les premiers rayons du soleil à la porte de ma tente demain matin vers 7H30…

Je n’ai pas de soucis à me faire, du soleil il y a en a 300 jours par an dans cette partie de l’Argentine, ce qui explique peut-être la nature si chaleureuse des locaux du nord argentin.



Posted on 24th juin, by Sebas in Cycling South America
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Une réponse à “Parfum d’Argentine: La Viña – Route 68”

  1. Beren dit :

    … On entend la petite t’appeler; on voit petit à petit les maisons et les terrains, de jeux et les délaissés, les carcasses et les anachronismes; on entend ses sons éloignés, on croise les uns et les autres et l’on sent la nuit tomber…
    Merci Seb..
    Gros bisouxxxx. B

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