Les 2000 premiers kilomètres…


 

 

 

 

Tiens il est pas encore mort lui? NON, loin de là… C’est vrai que je vous ai un peu délaissé mais certainement pas oublié… En même temps, je sais bien que je ne vous dois rien, malgré le fait de vous devoir beaucoup… Alors voilà, un petit mail pour vous raconter.

Je vais bien, je vis très bien…

Je pourrais essayer de vous résumer les meilleurs moments de ces bientôt 2 premiers mois, comme cette nuit passée dans la caserne de pompiers volontaires de Bradsen, où j’ai rencontré des hommes de coeur et de passion et qui au matin m’ont fait le salut après m’avoir fait la blague de m’inviter à prendre la parole sur la radio locale, ou encore cette famille de Saint Nicolas dont la maman m’a invité parce qu’elle ne trouvait pas l’endroit sûr et dont les enfants m’ont glissé à l’oreille qu’ils ne voulaient pas que je parte et qu’il fallait que je revienne après mon voyage juste avant de me donner le bandeau aux couleurs de leur équipe de rugby…
Je pourrais vous raconter toutes ces larmes que j’ai déjà vu couler sur les joues des hommes et des femmes lorsqu’il me fallait partir, mais ce ne serait rien sans vous parler de toutes ces fois où ce sont mes yeux qui se sont embués.
Je pourrais ajouter qu’il n’y a pas de hasard lorsque je rencontre un vieux marin tout au nord de l’Argentine qui me demande de délivrer à son ami qui habite Ushuaia un article découpé dans le journal, photo de lui au retour d’une pêche miraculeuse, article qu’il signe « Tu vois qu’il y a des poissons ici aussi, je te l’avais dit »…Comme pour m’enlever les derniers doutes quant à la réussite de mon défi en me donnant une mission,
Mais je devrais alors vous détailler cette journée où je me suis cru plus fort que la Nature parce qu’elle avait osé me retarder 3 jours alors que j’étais dans une performance et que lorsqu’il a recommencé à pleuvoir des cordes, j’ai hurlé pour qu’Elle m’envoie du vent et du froid parce que « j’allais pas me laisser faire!!! ». Lorsque je suis sorti d’avoir passé une heure sous un sèche-mains pour me réchauffer et sécher, j’ai simplement levé les yeux et demandé pardon.
Pour être complet, il me faudrait vous dessiner ce que j’ai vu dans ces yeux d’enfants quand ils apercevaient ma bicyclette, et nos sourires mélangés lorsqu’il s’agissait de poser pour la photo.
Ou encore vous faire partager ce qui me traversait le cœur lorsque je fus invité à Buenos Aires à une discussion bouddhiste menée en espagnol par un maître japonais, comme la réunion de 2 mondes auquel j’appartiens.
J’aimerais vous expliquer en détail cette fierté qui est la mienne lorsque j’exprime ce que j’ai à l’intérieur dans cette langue qui m’est si proche.
Tant qu’à faire vous demander pourquoi j’ai rencontré une si belle Chilienne dans ce début de voyage qui m’a appris tant de choses sans rien me dire, juste à être et à croire.

Mais je n’en ferai rien…de plus.

Je me sens ici chez moi en Argentine, je suis moi comme partout mais je suis un peu plus moi qu’ailleurs… J’aime cette façon qu’ont les Argentins de vous ouvrir les bras en même temps que le cœur. Certes, je suis en voyage, de passage et avec un capital sympathie que me procure la bicyclette, mais il n’empêche…cette façon d’être, c’est moi…
Me reviennent en tête 2 superbes phrases, mini leçons déjà dans mon voyage : « A quoi bon attendre demain pour donner le maximum sous prétexte de voir si on s’entend bien, alors qu’aujourd’hui est peut-être la dernière fois qu’on se voit » et « Eso es mi pais » (Ça, c’est mon pays!)…Elles résonnent comme des notes de bonheur.

Je n’ai pas beaucoup de photos à vous montrer, je vous le concède… un comble pour quelqu’un qui se présente comme un homme d’images… la vérité est que je ne me sens pas de passage ici, que je me contente d’aller littéralement les mains dans les poches, sans éprouver le besoin de graver quoi que ce soit, certain que ce sentiment qui m’habite peut se reproduire indéfiniment et ne demande donc pas à être figé…mais l’Argentine mérite d’être photographiée tellement elle est grandiose…Je ferai le maximum pour vous en donner un aperçu, c’est promis.

Je ne dis pas que c’est facile, loin de là.. C’est d’ailleurs l’effort physique et mental le plus intense que je n’ai jamais connu…Il y a il est vrai, une forme d’abnégation à l’effort quand on sait qu’il reste 3500km à fournir jusqu’au but suivant mais cela ne rend pas la chose plus aisée. Je suis d’ailleurs le premier surpris de voir la capacité du corps à se maintenir au long cours. Certes, il y a eu des « adaptations »: j’ai perdu toute ma graisse (3 kg) et les muscles sont tombés dans le bas du corps mais je reste impressionné, moi qui pensais être un sprinter plutôt qu’un coureur de fond, quand sur la route, le cœur et la tête ne cessent d’alterner entre amours passées et divagations futures (et futiles), mais que les jambes et le cœur physique eux, restent exceptionnels de servitude.
Non, ne croyez pas que ce soit facile, c’est juste presque impossible. Il suffit de voir la tête des Argentins quand tu leur dis que tu descends jusqu’à la fin du monde en venant de tout en haut, seul et à bicyclette. Oui, il y a une forme de fierté la-dedans, je l’avoue, et pour une fois, je l’estime en même temps que je m’estime.
Je sais que lorsque je serai arrivé à Ushuaia, je serai déjà une autre personne…

J’aime aussi ces petits moments privilégiés parce que rares et de grande intensité d’une vie qui se déroule au rythme d’une traversée à bicyclette, comme cette fois où j’ai pu voir se lever une tempête au loin, avancer littéralement vers moi et dérouler sur ma tête toute la puissance que peut contenir un ciel en furie. Je me rappelle simplement m’être demandé comment une telle force était possible, je pensais être le point de concentration de la tourmente tant les forces étaient immenses, alors que partout autour de moi c’était la même déferlante. A ce moment et à cet instant, oui, tous mes « mois » étaient connectés, accrochés au guidon comme à une branche de survie. Je sais que cet instant là restera gravé à jamais. Je n’ai pu m’empêcher de me filmer en sortant du monstre, et je rigole encore de cette tête d’adolescent qui vient de découvrir encore un peu plus le monde qui l’entoure…Mémorable…
Il y a aussi ce vent que rien n’arrête, qui sape presque chirurgicalement  toute forme d’énergie, et qui liquéfie les meilleures volontés du monde. J’en ai fait l’expérience pour la première fois aujourd’hui. C’est une épreuve presque intime que d’avancer en comptant les mètres, la tête engoncée dans les épaules, les yeux presque fermés lorsqu’ils regardent devant, mais souvent, rivés vers les pédales, comme pour donner un coup de pouce à ces jambes qui malgré tout continuent de pousser… en attendant la bourrasque suivante.
Quant à être seul au monde, sur les routes argentines, c’est un sentiment qu’il vaut mieux accepter dès le début, sous peine d’une dépression nerveuse immédiate. Nous, les Belges, n’avons aucune idée de ce que représentent 500km de monotonie concrète, aussi belle soit elle. A comparer, la route Bruxelles Liège est parc d’attractions, alors imaginer la faire 5 fois…Mais lorsque la nuit descend, que les bruits s’estompent et que les étoiles se lèvent, je vous promets que cela tient en respect toutes les solitudes de l’univers. « El ruido del silencio » (le bruit du silence) pour reprendre l’expression d’une énième rencontre faite à Buenos Aires, sera le titre d’un article futur, parce que tellement beau…

Quelques fois déjà, on a parlé de moi en mentionnant une impression de paix intérieure, c’est vrai que c’est très facile de se voir avancer chaque jour, il suffit de regarder le compteur, c’est vrai qu’il m’est facile de me congratuler chaque jour, il suffit aussi de regarder le compteur, j’imagine donc qu’il est normal que je sois en paix… et pourtant, je sais qu’il y a autre chose…mais sans savoir quoi…
Autre chose se dessine, c’est certain… d’ici à le rencontrer, il me reste quelques 3200km jusqu’au bout du monde, Ushuaïa… Je ne sais pas vous, mais rien que le nom me fait déjà tourner les sens… Comme clin d’œil, je vous dirais qu’il y a quelques jours, je suis tombé « par hasard » sur un motard, instructeur de yoga et directeur d’un centre de bien-être à Ushuaïa…. c’est ainsi, et un peu plus chaque jour que se passe ma vie de cycliste…

Si la vie ne fait pas de cadeau, comme se fait-il que j’ai tellement l’impression d’être gâté?

Et comme si cela ne suffisait pas, mon prochain projet est déjà en train de se forger une place dans ma tête et ailleurs, mais ça c’est une autre histoire à vous conter…

Si j’avais une demande à faire au Père Noël cette année, ce serait d’inventer très vite la possibilité de serrer dans ses bras par mail les gens qu’on aime pour leur faire sentir à quel point ils vous sont précieux et que vous les aimez…

S’il te plaît Papa Noël…s’il te plaît…



Posted on 3rd décembre, by Sebas in Cycling South America


5 réponses à “Les 2000 premiers kilomètres…”

  1. mariano dit :

    Sebas! saludos desde Rosario, buena senda.

  2. Gilles dit :

    Hello Seb,

    Bon courage… ;-)

    Gilles

  3. flor dit :

    sebas,eres un maestro de la vida….y se q estamos conectados…eso me llena de orgullo…se que tu travesia sera un exito…al igual que tu paso por esta encarnacion.ABRAZO ETERNO

  4. Antoine dit :

    Salut Sébastien,

    Content de voir que tout va bien.
    Pas beaucoup de photos mais un très beau texte.
    Je ne sais pas s’il faut te dire courage pour la suite car tu as l’air de tellement prendre ton pied que l’on a plus envie de te dire « sacré veinard ». Alors je te souhaite encore de belles rencontres comme celles décrites dans ton premier message et j’espère que le père Noël ne t’a pas oublié. Bonne continuation et bon vent.

    Hugues (TRIPLEA)

  5. Yolande dit :

    Tu émets tellement de belles vibrations ! Merci de tout coeur pour ces partages ! Et juste un petit message : la Pleine Lune du mois d’avril est la plus puissante de toute l’année, une PL de feu, qui détruit tout ce qui ne fait plus sens mais qui nous donne la possibilité de nous connecter à d’autres Dimensions ….à notre être véritable, universel, à notre Je Suis. Je sens que ton parcours est celui-là !

    Gros bisous!

    Yolande

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