A tel point qu’on arrive a ne faire qu’un avec le train


 

C’est vrai, je m’étais gardé de faire un journal de bord classique avec l’ensemble des journées détaillées quant à ce que j’ai bouffé ce jour-là et le nom de la guesthouse où j’aurais pioncé… Je fais une exception ici tant ce voyage en train entre le Lake Inle et Yangon a été incroyablement riche de tout…

Récit donc au fil des sensations et des rebondissements…

Dimanche 8 mai 8H35 Sur les quais de la gare de Shwe Nyaung :

Déjà 2heures de voyage derrière moi pour couvrir les 11 km qui me séparent de mon lieu de départ, les pick-up/navette n’ont ni arrêts définis, ni horaire pré-établi… alors un guichet de renseignements, vous pensez !

Etrange sensation d’être véritablement le seul « western type » sur ce quai de gare au milieu d’une masse  compacte de Birmans… je partage avec eux la position assise sur les talons et le fait d’avoir 20 kilos au moins à transbahuter sur les bras !

On vient me prévenir que ordinary class (3USD pour 9 heures de trajet… approximatifs) c’est vraiment « dirty »… On verra…

9H45 On démarre, j’ai un siège fenêtre, chic !

Le gardien du courrier installe ses sacs de lettres pour en faire un matelas confortable, ses voisins moins équipés s’installent l’un sur l’autre ou l’un sous l’autre en un enchevêtrement digne d’un Picasso, tandis que certains popotins trouvent dans le rebord des fenêtres un siège somme toute aéré à défaut d’être parfaitement confort…les radios grésillent en se moquant éperdument d’un minimum de coalition pour l’écoute d’une station unique, le moine en face de moi moine médite (à moins qu’il ne se soit endormi  ; paradoxal quand on cherche l’Eveil, me semble-t-il…), les bagages bourrés sur les rails supérieurs manquent de s’effondrer et le train qui se balance, se dandine, se tort, bondit et rebondit à chaque passage de voie (le franchissement d’un pont est un moment étrangement calme, tout se passant au ralenti pour ne pas occasionner de stress à la structure rouillée qui nous maintient suspendus dans les airs le temps de la traversée), les fenêtres grandes ouvertes (y’a-t-il seulement des vitres d’ailleurs ?) au travers desquelles je me fais flageller par les branches de l’extérieur, téméraires extensions végétales qui nous font payer de la sorte un droit de passage sur leur terrain de croissance, les banquettes en bois par dures comme…du bois… il plane comme un goût de voyage dans ce wagon…

Les mamans donnent le sein à même le sol tandis que les grands frères s’éclatent avec rien (même pas un rien, juste rien) entre les banquettes, les sols sont en partie jonchés de paquets, malles, paniers, cartons à tel point qu’ils en deviennent le sol surélevés le temps du voyage… si il y avait quoi que ce soit fragile, maintenant, c’est résolu il n’y a plus craindre une éventuelle casse… c’est forcément en morceaux !

Tous semblent maintenant indifférents à ma présence, habitués à ma gymnastique de photographe amateur qui gesticule à tous va pour capter le maximum  sur sa pellicule, mais rien n’y fait et avec la meilleure volonté du monde et les réflexes les plus prompts, je manque beaucoup car il y a en quelques sorte, trop de vie à bord d’un train birman…

 

11H51

Fantastique premier arrêt où le parfait néophyte que je suis est descendu en courant sur le quai fier comme Artaban acheter des samossas et une grosse grappe de bananes, as entendu le train siffler et couru après lui pour sauter dedans…Je me croyais téméraire et courageux comme un héros de films de western…

Imbécile !, je me demandais bien pourquoi mon voisin le moine ne s’était pas inquiété plus que de rigueur de voir le train repartir, tout détendu qu’il était assis sur les quais à déguster son thé et tirer sur sa clope…Le train n’a fait que raccrocher des wagons et est revenu en gare 10 minutes plus tard…Bon je savais pas…c’est là que le spectacle commence…

Pas encore complètement à l’arrêt, les wagons agissent comme des aimants pour la multitude de vendeuses qui portent sur la tête en équilibre contrôlé plateaux de fruits, de légumes, de snacks frits ou crus, amphores d’eau et spécialités locales dont je ne peux distinguer exactement la teneur…Les transactions vont bon train tandis que la deuxième ligne de front des marchandes a envahi le couloir central…que vous ayez un siège fenêtre ou allée, même combat : faites votre choix…

Dans le même temps, (c’est bien dommage que la narration demande une séquence tant tous ces évènements sont simultanés), ceux qui se jettent sur les quais par les encablures de fenêtre croisent ceux qui ont boycotté les portes, portant à la pratique ce postulat mathématique qui veut que la plus petite distance entre 2 points est la ligne droite ; la question étant pourquoi diable n’ont-ils aucun bagage avec eux ?

A peine terminée la formulation de la question, que des quais sont balancés une quantité incroyable de légumes empaquetés au plus serré, que des paniers de fruits frais sont poussés à l’intérieur par toutes les ouvertures possibles et avec infiniment plus de volonté qu’il n’en faut pour déplacer une montagne, et que d’immenses gerbes de fleurs sont délicatement, du moins dans la mesure de l’impossible jetées dans l’allée centrale.

En moins de temps qu’il ne faut pour le penser, le wagon déjà bien rempli à l’échelle européenne va se trouver bondé à tel point qu’on en arrive à ne faire qu’un avec le train, sans qu’il soit utile de se soucier de son équilibre, les voisins qui vous entourent y pourvoyant à votre place…

Sifflements de la loco et c’est l’évacuation désordonnée digne d’une alerte incendie d’un immeuble de bureaux en pleine heure de pointe…

On repart…

De parfum de voyage/sentiment d’aventure initialement,  c’est à présent la sensation de poulailler type classe bétail… Je remarque quelques regards amusés tournés vers moi… « Eh, t’as vu, on dirait qu’il devient tout rouge le gars avec son appareil photo! »

C’est le moment choisi pour le vendeur de cosmétiques de sortir le mégaphone (je jure, c’est la vérité, j’ai pas pu prendre de photo tellement j’étais sans voix…en même temps que sans plus d’ouïe d’ailleurs) et déballer sa sérénade… « 5 produits pour le prix de 4, regardez, je les mets moi-même dans le sac, oui madame, vous ne rêvez pas, j’ai bien dit 1000 kyats (=1USD) le tout !!! » Il y a des messages et des gestes qui sont au-delà de la barrière linguistique, tout comme des réactions d’achat impulsif universels, j’en aurai la preuve pendant les 5 prochaines minutes.

Je regarde le tout en mâchouillant un glaçon au sucre acheté par la fenêtre comme il se doit. Il est impossible de mourir de faim à bord, asphyxié peut-être, de faim non !

Aussi impressionnant que la traversée d’un pont, le passage d’un tunnel vous emmène en 1 seconde au cœur d’un morceau de charbon, pas le plus petit rai de lumière pour vous définir dans l’espace, pas le moindre photon pour exciter votre rétine et une subite pensée pour ceux qui de ce noir on fait leur quotidien…

14H, plein soleil dehors et courants d’air dedans, le paysage aride défile tandis que le virus de l’assoupissement guète quiconque :debout, assis ou couché c’est sans importance.

Tiens je n’avais pas remarqué que le train avait des toilettes ! C’est fait, j’en ai la preuve olfactive en dépit des courants d’air et même du durion de 2 kilos installé sous la banquette d’à côté… Il m’est d’avis que même Madame Javel et Monsieur Saint Marc au mieux de leur forme ne pourront rien contre cette effluve… Bon, j’attendrai d’être en gare, c’est décidé…

18H, le soleil est présent couché et les 3 plafonniers LED, seule concession à la modernité à bord  donnent à présent à ce wagon et à ses occupants un air lugubre que Stephen King trouverait certainement à son goût ! Les voix doucement se taisent pour mieux laisser entendre les craquements de la structure et les bruits de pas galopants sur le toit du wagon… Quand je disais lugubre…

Un avant dernier arrêt dévoilera un spectacle superbe sur les quais alors que les danseuses-vendeuses font onduler sur leur tête leurs plateaux de victuailles à la lumière d’une bougie… Encore des ombres, mais plus proches des lucioles virevoltantes que des démons fantomatiques du dedans…

On arrivera finalement en gare vers 21H, c’est à dire dans les temps à défaut d’être à l’heure…

21H15 : Le wagon est vide à présent, et je peux presque le sentir expirer à l’instar d’un sportif après une performance de haut niveau, tandis que sa carcasse métallique entreprend son stretching, gonflée d’avoir été bousculée dans tous les sens…

C’était le meilleur voyage en train de toute ma vie, et c’était ici, en Birmanie…



Posted on 12th mai, by Sebas in Backpacking SE Asia


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